Éditorial du mois

Éditorial de juin 2025

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Un amour sans ficelles

Je me souviens encore du pire cadeau que j’aie jamais offert. J’avais dix-sept ans et un faible pour une fille qui célébrait son anniversaire. Tout fier, je me suis présenté à sa fête avec un recueil de poèmes… que j’avais écrit moi-même!

La pauvre! Non seulement elle n’avait jamais montré d’intérêt pour la poésie, mais elle se retrouvait aussi avec l’obligation implicite de lire mon œuvre et de m’en faire un retour, directement à moi, l’auteur.

Avec le recul, je réalise à quel point ce cadeau était, comme on dit, «empoisonné». Derrière ce geste prétendument généreux, j’avais pensé davantage à moi qu’à son bonheur. En réalité, j’avais fait preuve de plus d’amour-propre que d’amour tout court!

Cette forme de générosité biaisée n’est pas rare. Sous le prétexte de donner, d’aider ou d’aimer, nos actions peuvent cacher des motivations souvent inconscientes, loin d’être désintéressées. Même l’amour parental n’y échappe pas toujours: certains parents maintiennent leurs adolescents dans une dépendance étouffante, prisonniers de leurs inquiétudes ou de leur fameux «c’est pour ton bien».

Pourtant, le véritable amour libère. Il ne s’accompagne ni de chaînes ni de ficelles qui manipulent. Il ne cherche pas à retenir l’autre ni à le modeler selon ses propres attentes. C’est un amour qui accepte de voir l’autre s’éloigner, évoluer ou même refuser ce qui est offert.

C’est toutefois un amour conditionnel que nous prêtons parfois à Dieu, sans même nous en apercevoir. Nous imaginons qu’il nous aime, mais que cet amour est assorti d’exigences en retour: «Je t’aime si tu m’aimes. Je te bénis, mais ne pèche pas. Ma grâce t’accompagne, mais sois fidèle à la messe.» Ces pensées sont compréhensibles. Après tout, nos relations humaines fonctionnent souvent selon un principe d’échange. Nous sommes peu habitués à la gratuité du don.

Le théologien Maurice Bellet, dans son célèbre ouvrage Le Dieu pervers, évoquait ces croyants rongés par un sentiment de culpabilité face à l’amour divin: «Dieu m’aime tellement… et moi, je suis incapable de l’aimer de la même manière…»

Mais Dieu, tel qu’il se révèle en Jésus, ne conditionne pas son amour. Celui qui a librement donné sa vie pour nous ne marchande pas. Si l’eucharistie débute par un rite pénitentiel, ce n’est pas pour attiser notre sentiment de culpabilité. C’est bien plutôt pour nous rendre conscients de toutes les chaînes qui se brisent lorsque nous décidons d’accueillir Dieu dans notre vie.

Jonathan Guilbault