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Éditorial de décembre 2024

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L’attente amplifie le désir

Chaque vendredi soir, mon père revenait de l’épicerie avec deux sacs de croustilles. Pas question d’en racheter en cours de semaine, alors il fallait faire durer le plaisir. Mais le plus souvent, nous étions à sec dès le lundi. Le vendredi suivant paraissait si loin…

Dès que j’ai eu de l’argent de poche, j’ai très vite compris qu’il était possible de court-circuiter cette attente: après tout, je pouvais moi-même m’en procurer au dépanneur, des chips! Au début, quelle liberté! Cependant, quand mon père revenait de l’épicerie, je ne ressentais plus d’excitation désormais. J’ai fini par comprendre que l’attente amplifie le désir, tout comme la joie de l’assouvir enfin.

Pour savoir attendre, il faut d’abord prendre conscience qu’il nous manque un je-ne-sais-quoi que l’on ne peut pas acheter, que l’on ne peut recevoir que des mains d’un autre. C’est un peu cela, le salut: un amour qui nous manquait, et qui surgit, par-delà notre envie de tout régenter, comme un don. Et un don plus chaleureusement accueilli quand il est attendu dans la vigilance du désir. Les enfants en savent quelque chose! Ainsi, l’Avent peut servir à cela: raffermir notre capacité de désir.

Mais tout cela sonne un peu égoïste, pour l’instant. Et infantilisant: s’agit-il vraiment de nous croiser les bras et d’attendre le salut, le bonheur, comme les plus jeunes attendent le père Noël? Le poète William Blake écrivait: «Celui qui désire, mais n’agit point, engendre la peste.» De fait, chacun peut désirer, fantasmer dans son coin. Mais attendre ainsi nous isole les uns des autres.

Le type d’attente qui rend le désir fécond implique l’action. Non pas celle de satisfaire au plus vite notre propre désir; plutôt celle de combler l’attente de salut des gens qui nous entourent. Car si le bonheur vient «à la bonne heure», à son heure à lui, il voyage principalement par voie humaine. Nous ne soupçonnons pas à quel point nous répondons à l’attente secrète de bien des gens en leur montrant simplement que nous avons pensé à eux.

Être émissaire du bonheur d’autrui: voilà qui mérite d’être ardemment désiré! Mais c’est là un désir dont on ne peut acheter l’assouvissement. On fait de son mieux, et cela vient comme un don. Comme une grâce. Une grâce qui est reconnue comme telle par qui sait l’attendre. Et aucun don n’est plus surprenant ni désirable que celui qui nous est fait à Noël: Dieu lui-même s’invite dans notre propre pâte humaine, avide de vie et de bonheur partagés.

Jonathan Guilbault