Éditorial du mois Éditorial de novembre 2025 A A Memento mori Memento mori: souviens-toi que tu mourras. Ce rappel, prisé de l’Église médiévale, visait à dénoncer la vanité des biens terrestres et à inviter les gens à vivre en pensant à l’éternité. L’interpellation retentit avec moins de force de nos jours, car, pour la plupart d’entre nous, la vie est plus longue et plus confortable que celle de nos ancêtres. Par ailleurs, les croyants et croyantes de l’époque médiévale étaient préoccupés par le désir de «faire une bonne mort», c’est-à-dire de finir leurs jours en parfait état de grâce, pour éviter l’enfer. Disons que l’enjeu nous paraît moins dramatique aujourd’hui, car nous avons plus volontiers confiance que l’amour de Dieu ne nous fera pas défaut si, par malchance, nous mourons dans notre sommeil après une mauvaise journée. Penser aux «réalités dernières» – mort, jugement, enfer, paradis – n’est plus dans l’air du temps. Le purgatoire encore moins. Les souffrances en cette vie, surtout lors des derniers moments, après une longue maladie ou une existence grevée par les épreuves, ne suffisent-elles pas? Est-ce qu’un Dieu Amour insisterait vraiment pour en ajouter, sous prétexte de nous purifier et nous rendre dignes de lui? Vue sous cet angle, l’idée même du purgatoire paraît révoltante. Mais il y a une autre façon d’entrevoir notre face-à-face avec Dieu: un dévoilement intégral de notre vie, du point de vue de l’amour. Dans cette perspective, le «feu» du regard divin n’est pas à craindre. La joie de voir notre Créateur et Sauveur nous mettra assurément à l’abri de toute inquiétude ou du désespoir. Mais cette clarté nous fera aussi percevoir l’écart entre ce que nous aurons vécu… et ce que nous aurions pu vivre. Nous ne serons pas surpris par nos fautes – elles nous sont familières. Mais nos omissions, elles, pourraient nous saisir: tous ces gestes d’amour laissés en friche, ces mercis jamais prononcés, cette gratitude jamais exprimée. Nous étions portés par l’Esprit, mais trop souvent distraits, inertes, absorbés par nos petits tracas. Quand j’animais un groupe de jeunes, j’évoquais souvent l’exemple d’un étudiant en médecine. S’il est doué, il peut se contenter du minimum (déjà considérable!) pour obtenir son diplôme. Mais s’il y met plus de cœur, combien de vies sauvera-t-il en plus, sur toute une carrière? En prenant cet exemple, je ne voulais pas créer des monstres de culpabilité, obsédés par les études, incapables de se relaxer. Il s’agissait plutôt de les rendre conscients que leur quotidien n’était pas banal, qu’il était rempli d’occasions, invisibles à l’œil de nu, d’avoir un impact en ce monde. Agir, veiller, cela vaut la peine, ici et maintenant. N’attendons pas notre dernier souffle pour rendre grâce! Jonathan Guilbault