Éditorial du mois Éditorial de septembre 2025 A A Les larmes de Justine Saint Augustin a écrit: «Le prix de l’amour, c’est toi-même.» À une époque, j’ai voulu devenir écrivain. Je scrutais le monde à la recherche d’impressions nouvelles, d’images expressives. Je m’efforçais d’aiguiser mon regard, d’affiner mes perceptions pour mieux décrire l’univers avec justesse. Un jour, mon amie Justine est venue frapper à la porte de la maison de ma mère, où j’habitais alors. Elle était en larmes, bouleversée par la fin d’une relation mouvementée. Je l’ai prise dans mes bras, bien sûr, mais je me souviens très bien que je n’étais pas vraiment «avec elle». Je faisais les gestes attendus, je prononçais les phrases de circonstance: «Ça va aller. Il ne te méritait pas…» Mais, en réalité, mon esprit était ailleurs: j’observais, je prenais mentalement des notes sur la manière dont son visage se décomposait sous l’effet du chagrin. Ces notes pourraient me servir un jour à décrire une scène semblable dans mes futurs livres… Résultat: au bout de dix minutes, Justine est repartie, un peu sèchement, visiblement déçue. Elle n’avait pas reçu de moi la consolation qu’elle espérait. J’ai entendu la porte se refermer derrière elle, et un silence lourd s’est installé. Heureusement, au lieu de retourner immédiatement à mes obsessions d’aspirant romancier, j’ai pris le temps de réfléchir à ce qui venait de se passer: j’avais essayé de remplir une tâche profondément humaine, consoler, avec la froideur… d’un observateur extérieur. Un dilemme moral s’est alors imposé à moi: allais-je réellement donner le meilleur de moi-même aux personnes que je prétendais aimer, ou poursuivrais-je mon «étude d’écrivain», au risque de m’isoler? «Nul ne peut servir deux maîtres…» (Matthieu 6, 24) À ma grande honte, je n’ai pas rattrapé Justine ce jour-là, pour m’excuser, pour me reprendre. Mais j’ai eu la grâce de prendre conscience d’une vérité essentielle sur moi-même. Pour la première fois, j’étais confronté, en pleine lucidité, à l’alternative propre à l’amour: s’engager pleinement, ou faire semblant. Être un «présent», ou un «absent». C’était un de ces moments qui élargissent la conscience, où le cœur, selon notre choix, grandit ou se contracte. La parole de Dieu, que nous accueillons à chaque célébration eucharistique, est remplie de telles scènes, de personnages aux prises avec des dilemmes intimes. Je pense à Zachée, au jeune homme riche, à Judas, à Pierre… Et, bien sûr, à Jésus, modèle absolu de celui qui accepte de payer le prix fort – son temps, sa vie – pour essuyer toutes «les larmes de Justine» de notre monde. Jonathan Guilbault